La
fugitive.9..Marcel Proust
L’incipit di
“Albertine disparue” ou” La fugitive “,d’après La Recherche de Marcel
Proust.
Chapitre I
Le chagrin et
l’oubli
“Mademoiselle
Albertine est partie !” Comme la souffrance va plus loin en psychologie que
la psychologie ! Il y a un instant, en train
de m’analyser, j’avais cru que cette séparation sans
s’être revus était justement ce que je
désirais, et comparant la médiocrité des plaisirs que me
donnait
Albertine à la richesse des désirs qu’elle me privait de réaliser, je m’étais
trouvé subtil,
j’avais conclu
que je ne voulais plus la voir, que je ne l’aimais plus. Mais ces mots:
« Mademoiselle
Albertine est partie » venaient de produire dans mon cœur une souffrance
elle que je ne
pourrais pas y résister plus longtemps. Ainsi ce que j’avais cru n’être rien
pour moi,
c’était tout simplement toute ma vie. Comme on s’ignore ! Il fallait faire
cesser
immédiatement ma souffrance. Tendre pour moi le
même comme ma mère pour ma
grand’mère mourante, je me disais, avec cette
même bonne volonté qu’on a de ne pas
laisser
souffrir ce qu’on aime: « Aie une seconde de patience, on va te trouver un
remède,
sois tranquille, on ne va pas te laisser
souffrir comme cela. » Ce fut dans cet ordre d’idées
que mon
instinct de conservation chercha pour les mettre sur ma blessure ouverte les
premiers
almants: « Tout
cela n’a aucune importance parce que je vais la faire revenir tout de suite. Je
vais examiner les moyens, mais de toute façon elle sera ici ce soir. Par conséquent inutile
de
se tracasser. » « Tout cela n’a aucune
importance », je ne m’étais pas contenté de me le dire,
j’avais tâché
d’en donner l’impression à Françoise en ne laissant pas paraître devant elle ma
souffrance,
parce que, même au moment où je l’éprouvais avec une telle violence, mon amour
n’oubliait pas
qu’il lui importait de sembler un amour heureux, un amour partagé, surtout aux
yeux de
Françoise qui, n’aimant pas Albertine, avait toujours douté de sa sincérité.
Oui, tout à
l’heure, avant l’arrivée
de Françoise, j’avais cru que je n’aimais plus Albertine, j’avais cru ne rien
laisser de côté; en exact analyste, j’avais
cru bien connaître le fond de mon cœur. Mais notre
intelligence, si grande soit1elle, ne peut
apercevoir les éléments qui le composent et qui restent
insoupçonnés tant que, de l’état volatil où ils subsistent la
plupart du temps, un phénomène
capable de les
isoler ne leur a pas fait subir un commencement de solidification. Je m’étais
trompé
en croyant voir
clair dans mon cœur. Mais cette connaissance que ne m’avaient pas donnée les
plus
fines perceptions de l’esprit venait de m’être
apportée, dure, éclatante, étrange, comme un sel
cristallisé par la brusque réaction de la
douleur. J’avais une telle habitude d’avoir Albertine auprès
de moi, et je voyais soudain un nouveau visage
de l’Habitude. Jusqu’ici je l’avais considérée surtout
comme un
pouvoir annihilateur qui supprime l’originalité et jusqu’à la conscience des
perceptions;
maintenant je la voyais comme une divinité
redoutable, si rivée à nous, son visage nsignifiant si
incrusté dans notre cœur que si elle se
détache,ou si elle se détourne de nous, cette déité que
nous ne distinguions presque pas nous inflige
des souffrances plus terribles qu’aucune et qu’alors
elle est aussi
cruelle que la mort.
Le plus pressé était de lire la lettre
d’Albertine puisque je voulais aviser aux moyens de la faire
revenir. Je les sentais en ma possession,
parce que, comme l’avenir est ce qui n’existe que dans
notre pensée, il nous semble encore modifiable
par l’intervention in extremis de notre volonté.
Mais, en même
temps, je me rappelais que j’avais vu agir sur lui d’autres forces que la mienne
et contre lesquelles, plus de temps m’eût1il
été donné, je n’aurais rien pu. À quoi sert que l’heure
n’ait pas sonné encore si nous ne pouvons rien
sur ce qui s’y produira ? Quand
Albertine était à la
maison, j’étais
bien décidé à garder l’initiative de notre séparation. Et puis elle était
partie. J’ouvris
la lettre d’Albertine. Elle était ainsi
conçue:
« MON AMI,
» Pardonnez-moi
de ne pas avoir osé vous dire de vive voix les quelques mots qui vont suivre,
mais je suis si lâche, j’ai toujours eu si peur
devant vous, que, même en me forçant, je n’ai pas
eu le courage
de le faire. Voici ce que j’aurais dû vous dire. Entre nous, la vie est devenue
impossible,
vous avez d’ailleurs vu par votre
algarade de l’autre soir qu’il y avait quelque chose
de changé dans
nos rapports. Ce qui a pu s’arranger cette nuit1là deviendrait irréparable
uelques jours.
Il vaut donc mieux, puisque nous avons eu la chance de nous réconcilier,
nous quitter
bons amis.C’est pourquoi, mon chéri, je vous envoie ce mot, et je vous prie
d’être assez
bon pour me pardonner si je vous fais un peu de chagrin, en pensant à
l’immense que j’aurai. Mon cher grand ami,je
ne veux pas devenir votre ennemie, il me
sera déjà assez dur de vous devenir peu à peu,
et bien vite, indifférente;aussi ma décision
étant
irrévocable, avant de vous faire remettre cette lettre par Françoise, je lui
aurai demandé
mes malles. Adieu, je vous laisse le meilleur de
moi-même. »
ALBERTINE.
*****
****************
Nessun commento:
Posta un commento